dimanche 15 août 2010

Chroniques en Sarkozie


Ceci ne sera pas un article argumenté, construit. Il n’a pas même vocation à être travaillé ou soigneusement écrit. Non, c‘est plutôt un jais, un élan spontané. Voici seulement quelques chroniques de la vie en Sarkozie, parce que, décidément ça va mieux en le disant!

Quais du Rhône, pont de la Guillotière.
Il avait fait chaud, la chaleur avait pénétré chaque corps au point de rendre tout mouvement téméraire. Le soleil s’était adouci: c’est la fin d’après midi, la lumière est douce. Avec deux amis, nous parlons, de quoi, je ne sais plus, de l’avenir sûrement. Cela a peu d’importance.
L’Algérie a été éliminée de la coupe du monde et ça m’attriste. Autour de nous, les jeunes drapés de vert et de blanc scandent « one, two, three Viva l’Algérie ». En, souriant, de temps en temps, nous chantons aussi.
Non -pourquoi faut-il le préciser- je suis pas de celles que beaucoup, bien pensants, qualifieraient de « française d’origine maghrébine ».
Je suis française , comme eux d’ailleurs , pas moins, pas plus. La carte d’identité suffit, pas vrai?
Je suis française et dans un mouvement spontané, un brin affectif et peut être ridiculement contestataire, je supporte l’Algérie. Comme certains de mes amis soutiendront le Ghana, l’Uruguay. Elle est loin la France des blacks, blancs, beurs. Au fond, a-t-elle jamais existé?
Les tamtams raisonnent en cœur et je me sens vivante. J’ai envie de danser ma joie d‘être en vie.
La police arrive et c’est fini.
Je me sens mal, j’ai la nausée. Je sais pourtant qu’ils ne viennent pas pour moi, qu’ils ne viennent jamais pour moi.
Ce n’est pas la peur qui me submerge mais la rage en les voyant fouiller, palper, deux jeunes évidemment basanés. Ils ne disent rien et moi je brûle, prête à éclater. Et comme d’habitude, après quelques remarques acerbes marmonnées, je me tais; cri silencieux encore étouffé.
Ils sont partis et je n’arrive pas à me calmer. En fait, je ne le veux pas : c’est cette peur d’un jour m’y habituer.

Là, jouant sur une rambarde, tout prêt, il y a Wided. C’est une petite fille - elle a douze ans malgré tout- à qui je fais de l’accompagnement scolaire. En tout cas, j’essaie. Il faut dire que quand je l’ai rencontré, il y a un an, elle ne savait pas lire. Après ses trois CE2.
J’ai essayé de comprendre, d’assembler quelques bribes. Ils sont beaux ses parents, de cette chaleureuse beauté que n’ont que ceux qui sont loin de chez eux, exilés. Quand je viens, la mère me serre contre elle et dans un sourire, elle psalmodie le seul mot qu’elle connait: « merci, merci… »
Son père me serre toujours la main avant de mettre la sienne sur son cœur.
À son arrivée en France, il y a un peu plus de quatre ans, on a mis Wided en CE2. Elle ne savait ni parler français, ni lire, ni écrire. Jetée dans la fausse aux lions, elle y reste trois ans, avant de rejoindre une classe d’insertion où, enfin, elle fait des progrès. Je demande pourquoi elle n’y a pas été avant. Pour préserver sa blessure narcissique me dit le psychologue scolaire. Autant dire que c’est un succès.
Ce qui me frappe chez Wided c’est sa peur de sortir, de voir autre chose que cet appartement, vétuste, presque pas meublé. Chez ses parents, c’est leur dignité.
Pourtant, quand on réussit à capter sa curiosité, Wided fourmille de mille questions ou idées. Elle rit. Elle rayonne.
Elle n’aime pas la France. Je la comprends, on ne lui a jamais donné sa chance. Alors je ris jaune quand j’entends dire que -quand même- ils pourraient faire un effort pour s’intégrer.
Le coup de l’intégration, on l’a si souvent fait. Et tant pis si depuis plusieurs générations ils sont français. À moi, me l’a-t-on demandé? Non. Ils auront toujours plus à prouver.

Ma copine Noé est partie l’année dernière pour la Roumanie, elle devait suivre des cours à l’université. Beaucoup n’ont pas compris. Il y avait toujours cette question récurrente. Oui pourquoi la Roumanie? C’est étrange ce besoin de justification, cette incompréhension qui veut tout dire. Je crois qu’elle voulait découvrir l’Autre, celui tellement lointain et pourtant là, tout proche. Pour ça elle devait parler. Pour apprendre, elle est allée dans la rue; en bas de chez elle.
Quand je l’ai accompagnée, il y avait ce malaise: pour la première fois, j’allais parler à des personnes devant lesquelles j’étais passée en silence, cette peur de ne pas savoir comment m’approcher. Il s’agissait pour moi d’être humaine, de me faire proche mais de fuir la pitié. Je redoute le sentiment de supériorité qui souvent l‘accompagne.
Ma timidité ou ma crainte n’avaient pas lieu d’être. Ou peut être que si, mais juste un peu. Des Roms, je ne retiens que l’accueil, la gentillesse. Et la misère scandaleuse aussi, celle qui ne peut qu’avoir des conséquences désastreuses. Il y a, un peu plus loin, cette mère qui pleure avec son bébé malade dans les bras. Et moi, je ne sais pas.
J’ai les mains vides. Encore une fois la colère, et la honte aussi. Je me sens coupable et dans une certaine mesure je le suis.

27 juillet 2010, organisation par l’Elysée d’une réunion ministérielle sur le comportement des gens du voyage et des Roms. Cela fait suite aux évènements de Saint-Aignan.
Une fois encore, je tremble de fureur. Non, il ne s’agit pas de bons sentiments. J’ai longtemps tenté de rester nuancée. Pour être entendue surtout. C’est fini. C’est que, naïvement peut être, la « République une et indivisible » m’a toujours parlée comme la notion de terre d‘accueil. Je crois savoir que les Roms et les gens du voyage sont à 95% français.
C’est cette idée de la France qui me taraude et qui ne peut qu’être heurtée par ces propos scandaleusement stigmatisants. Les plus beaux peut être reviennent à Monsieur Hortefeux, ministre de l’intérieur: « beaucoup de nos compatriotes sont à juste titre surpris en observant la cylindrée de certains véhicules qui trainent les caravanes. »
Outre les discours, les mesures -une fois encore- sont éloquentes.
Démantèlement dans les trois mois de 300 camps et squats illégaux.
Reconduite à la frontière immédiate des Roms d’origines bulgare et roumaine ayant commis des atteintes à l’ordre public ou des fraudes.
Affectations d’inspecteurs du fisc chargés de contrôler la situation des occupants des camps amenés à être démantelés.
Qu’importe si les expulsés, rappelons le pour une immense majorité français, n’ont nulle part où aller faute d‘aires d‘accueil. Qu’importe si les reconduits à la frontière reviennent. Qu’importe si la politique répressive empêche tout suivi (social, éducatif ou même sanitaire). Les statistiques le montrent, nos électeurs le verront, nous on agit!

Souvent je me demande jusqu’où la politique de la peur nous mènera, combien de temps la crainte nous aveuglera. J’ai tendance à croire que c’est elle qui maintient tout un système, peur de l’autre, peur de perdre le peu qu’on a.

Je me suis réveillée avec ce poids dans la poitrine mais aussi avec cette envie immense de me choisir, de participer à demain. J’ai ressenti toute l’étendue de ma liberté. Tout à coup, il y a eu cet élan d’espoir. J’ai pensé à ceux qui m’accompagnent, à toutes nos libertés et nos révoltes assemblées.
Je me suis rappelée qu’ensemble tout devient possible....C'est lui qui l'a dit!